* A LA VIE !
- Xavier, alias l'Homme étoilé, publie depuis 2017 sur Instagram ses dessins qui évoquent son quotidien d'infirmier en soins palliatifs.
- Il a décidé pour poursuivre dans cette voie en publiant ce mercredi une BD, qu'il a écrite et dessinée seul, pour rendre hommage à certains patients qui ont marqué sa carrière.
- Loin de préjugés et non sans humour, cet infirmier qui travaille à Metz donne à voir les gestes, musiques, petits plaisirs qui aident les patients et leurs proches.
* A la vie ! Calmann-Lévy, 8 janvier 2020, 16,50 €
INTERVIEW A l'occasion de la sortie ce mercredi de sa BD A la vie !, Xavier, alias l'Homme étoilé sur Instagram, illustre de belles rencontres dans son service de soins palliatifs
Oihana Gabriel
Publié le 08/01/20 à 10h35 — Mis à jour le 10/01/20 à 12h14
Portrait de l'Homme étoilé. — Bruno Lévy
Beaucoup passent le mois de janvier à répéter « Bonne année », « Et la santé surtout ! » Xavier a, lui, choisi pour sa BD sur son quotidien d’infirmier en soins palliatifs, un titre festif, comme pour porter un toast non pas à 2020 mais… A la vie !* Certains le connaissent déjà. Xavier, c’est cet infirmier qui publie ses dessins sur Instagram depuis 2017 sous le pseudo L’Homme étoilé (suivi par 100.000 internautes). D’autres découvriront son coup de crayon, son humour et sa bienveillance. Mais aussi Roger, Marie, Edmond et les autres, ces hommes et ces femmes qui lui ont appris comment donner la main avant le dernier grand saut.
Ce costaud bonhomme, cheveux longs, tatouages (notamment d’étoiles sur le coude gauche…) et longue barbichette, amateur de rock et de dessin, n’y évoque pas maladies et médicaments, mais ces mots, ces desserts, ces musiques, ces sourires qui peuvent adoucir le grand départ. Et lui donnent envie d’y retourner chaque matin.
Pourquoi avoir choisi de devenir infirmier en soins palliatifs ?
Honnêtement, je n’en rêvais pas du tout, ni de devenir infirmier, ni des soins palliatifs… Petit, je voulais être éboueur. Je ne sais pas ce qui m’a dirigé. Une admiration pour ce métier et l’instinct je pense. Les soins palliatifs ont répondu à pas mal d’attentes. D’abord, des choses que j’avais vécues et pas réparées. Ma mère est malade depuis que je suis tout petit, ce n’était pas facile ce sentiment d’impuissance. Ensuite, j’y ai trouvé un juste compromis entre médecine et psychologie. J’avais commencé une faculté de psycho, mais je ne me voyais pas psy. Aujourd’hui je ne regrette pas, je suis à ma place aux soins palliatifs.
« Un marshmallow coincé dans une armoire à glace », ça vous convient comme description ?
Oui, c’est une psychologue qui m’a dit ça après la mort d’un patient. Je fais 1,93 de haut et de large, je suis tatoué de partout. Mais au fond, je suis un Bisounours. Cette dichotomie entre mon apparence et ma personnalité, c’est plutôt un avantage. Quand ils voient que je suis gentil, l’appréhension laisse place à la curiosité. On apprend à se connaître à travers mes tatouages, car j’y mets des choses qui me racontent.
C’est quoi les soins palliatifs pour vous ?
Les soins palliatifs font peur parce que le grand public est mal informé. C’est uniquement associé à la mort. Avant d’y travailler, je m’en faisais la même représentation, « dans quel mouroir sinistre je vais atterrir ? » Mais beaucoup de patients y séjournent pour équilibrer un traitement et rentrent chez eux. D’autre part, dans l’expression fin de vie, il y a « vie » et les gens ont tendance à l’oublier. Notre service est axé sur l’humain, le confort, le plaisir. Les équipes sont soudées, drôles aussi. Je crois fermement en une médecine dans laquelle on peut faire autre chose que donner des médicaments. Attention, c’est important d’équilibrer le traitement d’un patient, tant qu’il souffre il n’est pas disponible pour autre chose.
Qu’est-ce qui vous a donné envie de dessiner votre quotidien d’abord sur Instagram, et maintenant dans cette BD ?
J’en avais marre des mines grises, limite des condoléances quand je dis que je bosse en soins palliatifs. Ce n’est pas le regard que je porte sur mon métier. Au contraire, les soins de confort, l’humanité typique de ce service, on devrait les retrouver à tous les étages de l’hôpital. Pour avoir bossé dans beaucoup de services, je trouve que la douleur est souvent négligée. Le relationnel aussi. Cela m’arrive de passer 1h30 dans la chambre d’un patient qui n’a pas de visite. Un chirurgien m’a dit un jour que les soins palliatifs, c’était pour les branleurs de l’hôpital…
Comment raconter l’histoire de vos patients tout en respectant leur intimité, leur pudeur ?
Par respect, leurs prénoms ont été changés et je ne précise pas leur pathologie. Ce n’est pas l’essentiel de l’histoire. Mais bien ces rencontres humaines, ces beaux liens qu’on crée très vite. Ce qui est merveilleux en soins palliatifs, c’est que les patients n’ont pas de temps à perdre, donc on crée une relation de complicité rapidement. Cela tombe bien, je ne suis pas très doué pour parler de la pluie et du beau temps ! On est un peu leur famille de substitution.
« On n’a pas le droit de laisser ses sentiments parasiter les soins », il y a aussi des patients avec qui vous avez du mal à créer un contact…
Dans cette BD, je raconte des moments isolés, mais je n’ai pas des partages aussi complices tous les jours ! Comme dans toute relation humaine, il y a des coups de foudre, de superbes histoires et des patients avec qui il ne se passe rien. C’est important quand le courant passe mal d’identifier nos émotions. On a ce devoir de rester à l’écoute, de passer la main quand ça devient trop difficile.
La plus belle rencontre que vous ayez faite ?
C’est un ensemble. Chaque histoire que je raconte m’a appris quelque chose de différent et a conditionné le soignant que je suis devenu. Roger m’a montré qu’on pouvait mettre du hard rock dans la chambre d’hôpital. Marie, que j’étais capable de grandir comme soignant. Mathilde, à traduire mes émotions auprès des proches.
Qu’est-ce que les soignants comme vous ou Charline, très présents sur les réseaux sociaux changent dans la relation aux patients ?
Rien. La plupart des patients ne nous connaissent pas. Au niveau des soignants, en revanche, on peut apporter une voix. Charline côté écriture, et moi par le dessin. Je reçois d’ailleurs beaucoup de messages de soignants qui me remercient de raconter une autre facette de notre métier. Qu’il y a encore des personnes qui font leur métier avec cœur, sans compter leurs heures.
Justement, les difficultés des hôpitaux publics font la une depuis mars, que pensez-vous du mouvement social ?
L’hôpital est clairement devenu un rouleau compresseur. Personne n’est épargné, pas même les soins palliatifs, par cette logique quantitative plutôt que qualitative. Ce qui aboutit à une fatigue des soignants, de plus en plus de démissionnaires, ça ne profite à personne. Je me contente à mon échelle de maintenir une bonne qualité de soins, mais je suis inquiet pour la suite.
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